Qu'est
ce qu'une interface par défaut ?
- D'où
vient ce texte ?
A la limite du reconnaissable, l'esthétique par défaut
peut parfois désarmer l'utilisateur par sa simplicité
voir être interprétée comme une erreur (défaut)
et son contenu ignoré. L'esthétique par défaut
est née sur Internet de la relation entre humains et machines.
Le collectif Téléférique auquel je participe
depuis trois ans expérimente un site dont l'interface est par
défaut. C'est de là que provient ce texte. Tout ce dont
il est question ici fait référence à http://www.teleferique.org
ou ftp://ftp.teleferique.org
comme exemples. L'esthétique par défaut s'applique moins
à une oeuvre ou un auteur, qu'à un choix collectif,
un contexte de travail et de diffusion sur le réseau. Notre
interface est absente de design1.
Elle n'a pas été conçue par un designer ou tout
autre humain mais par le programme de la machine (serveur). « Par
défaut » en informatique signifie une valeur définie dès le début
de l'exécution du programme, avant que l'utilisateur ne la modifie.
Au démarrage, l'affichage est initialisé par défaut2.
Son apparence est définit par le programme, le logiciel qui
permet de voir le site. « Défaut » vient du vieux français
défaute, défaillir c'est à dire
« faillir dans », « manquer à ». Est beau ou réussi
ce qui manquerait à certaines règles ou croyances, une
beauté par contumace.
- Init
interface
Un site commence toujours par le transfert d'un fichier vers un serveur
à l'aide d'un logiciel FTP (File Transfert Protocol)
qui le place dans un répertoire précis. Bien que tous
les sites sur le Web soient structurés par une arborescence
de dossiers contenant des fichiers, celle-ci demeure le plus souvent
invisible, cachée du visiteur. Nous avons choisi de la montrer.
Notre site donne accès à un ordinateur distant, utilisable
par les membres de notre collectif et visible par tous sur le Web.
S'y connecter depuis n'importe quel endroit de la planète revient
à scruter la micro-architecture du disque dur de notre serveur
situé quelque part en banlieue Parisienne. On y voit les dossiers
et fichiers qu'il contient, ainsi que la date de création,
le poids et éventuellement un descriptif de chacun d'eux. En
vous connectant pour la première fois, il se peut que ces quelques
dossiers vous rappellent vos premiers pas en informatique ou votre
première connexion Internet. Qui n'a pas perlé de sueur
à l'ouverture de son premier ordinateur et à son premier
clic de souris sur un dossier ? Le monde informatique est un monde
d'initiés. L'humain s'initie à l'ordinateur. L'ordinateur
s'initialise aux humains. Mais si l'humain a un oubli ou fait une
erreur, la machine la rattrape automatiquement. L'interface3
par défaut participe d'un oubli volontaire ou plutôt
d'un consensus avec le programme de la machine (serveur). Nous n'avons
pas créé de première page comme un livre dont
on aurait arraché la couverture. On accède directement
au contenu. Sans page d'index porteuse d'une intention humaine les
droits d'affichage sont légués au programme.
- Interface
et inter-dos
On peut comparer l'esthétique par défaut à un
no man's land, terre d'aucun homme. Rassurante comme une barrière
au bord du vide, inquiétante comme une réponse officielle,
une telle interface renvoie l'humain et la machine dos à dos.
Disons inter-dos plutôt qu'inter-face. L'interface est communication
entre l'humain et la machine tandis que l'interdos distancie l'humain
de la machine. La machine montre son cul, ce geste simple, provocateur
et amusant qui trouble l'adversaire. Une fois familiarisé,
le visiteur prendra petit à petit ses repères. Il reconnaîtra
ce qui demeure de ce qui a changé visite après visite.
Tout est là, permanent comme le réel, localisable par
une adresse (URL4 ou adresse IP) mais
en une seconde, tout peut changer, fichiers déplacés,
renommés et effacés. Rien n'est grave si l'on a pris
garde de les enregistrer sur son ordinateur. Heureusement qu'une sauvegarde
est toujours possible. Avec les humains, les rapports certes plus
compliqués sont aussi plus riches. Mais nous ne pouvons malheureusement
pas redémarrer comme les machines.
Art
vs design
- Monopole
du design
Dix ans après l'ouverture d'Internet au grand public grâce
au Web, la création d'interface est devenue une affaire de
graphistes, un état de fait indiscutable (y compris dans les
écoles). Figées par une charte graphique, les interfaces
sont devenues bien souvent un écran à Internet voilant
sa profondeur arborescente, rhizomatique ou en treillis. Par un acte
d'abandon, l'interface par défaut laisse la machine se représenter
elle-même et produire ainsi ses propres codes culturels (figuration
de la mémoire, du temps, de la hiérarchie) à
contrario d'un graphisme dicté par le soucis d'image de marque.
Si je compare les compétences d'autres domaines, le monopole
du graphisme me semble d'ailleurs discutable. Les architectes pourraient
donc mieux que quiconque réaliser un site parce qu'au fond
une arborescence est une architecture ? L'esthétique industrielle
(design objet) est bien plus compétente pour faire une
interface parce que c'est une question d'ergonomie ? Les designers
textile sont plus à même de comprendre les ordinateurs
dont les ancêtres sont les métiers à tisser Jacquard
? Notre site est collectif. Plusieurs personnes participent à
sa réalisation, son évolution. Raison pour laquelle
il n'y a donc pas un graphisme hégémonique mais une
esthétique par défaut pour l'ensemble. Une telle interface
est reposante parce qu'elle évite l'écueil d'une Nième
création originale, dépendante des aléas de la
mode et la technologie. D'un autre coté, il ne s'agit pas d'interdire
le graphisme sur notre serveur. Chacun peut localement adopter une
esthétique propre s'il le désire dans le répertoire
qu'il occupe. Que ce soit pour un catalogue papier ou la création
d'un site sur internet, les artistes se voit affiliés systématiquement
des graphistes pour créer un habillage de leur travail, pour
des raisons de communication qu'invoquent les institutions, galeries
ou artistes eux-mêmes. Pris en otage par la communication, nous
avons décidé de nous organiser. De la même manière
que les astronomes se regroupent en association depuis plusieurs années
pour lutter contre la pollution lumineuse du monde occidental qui
les empêche d'observer les étoiles la nuit, l'esthétique
par défaut définit un cadre écologique dans un
environnement de communication surchargé d'informations. The
sky is the ultimate art gallery just above us dit Ralph Waldo
Emerson de l'International Dark-Sky Association. C'est sans
doute valable pour Internet et l'information. La publicité
pollue l'information. Proposer de l'information en créant un
site devient de plus en plus délicat parce que nous sommes
trop sollicités. On développe une défense immunitaire
à l'information. Si l'on est insensibilisé aux sollicitations
du réseau, on ne retient rien. Si l'on est allergique, on devient
agressif et paranoïaque.
- Nos
chemins se séparent
Les relations qu'entretiennent l'art et le design aujourd'hui
évoluent. Artistes et designers semblent inverser leurs
compétences et champs d'actions. Ils se croisent plutôt
que de se fondre. Tandis que de plus en plus de designers exposent
dans les musées ou galeries, de nombreux artistes s'infiltrent
dans le quotidien, cherchant à se faire oublier. Le design
quitte le cadre de vie pour infiltrer l'espace neutre d'exposition.
Beaucoup de jeunes designers en rentrant au musée ou
en galerie accèdent au statut d'auteur. Ils proposent un modèle
(série limitée, prototype), des concepts pour la vie
(tendance, prospective), non plus des objets à vivre. Pendant
ce temps, certains artistes quittent sur la pointe des pieds l'espace
d'exposition qu'ils jugent ne plus être un espace d'autonomie
critique mais un canal de communication parmi d'autres. Ou bien, comme
c'est mon cas, ils n'y entrent jamais vraiment. Ma réinsertion
s'accomplit dans la permanence du réel dont Internet est l'espace
principal. Déjà-là, par défaut, il m'a
suffi de pousser la porte pour y entrer. Une interface par défaut
est libre à l'inverse d'une interface « Multimédia »
payante réalisée par exemple avec Macromedia FlashTM
qui coûte 599 €uros à ce jour (10 juillet 2002).
Sur Internet, le concept de libre est différent de gratuit.
Libre signifie que le concept d'argent n'existe pas. Nous ne sommes
pas pauvres. Bien au contraire, nous nous sommes enrichis sans posséder.
Par défaut, toute information peut circuler librement sur Internet,
au profit de tous et non de quelques uns. Les outils sont accessibles
librement par tous (domaine public, licence GPL, Copyleft) y compris
ceux permettant de faire du commerce en ligne ! Pour la plupart, ils
sont Open-source, ce qui veut dire qu'ils peuvent être modifiés
tant dans leur forme que leur fonction par quiconque le désire
tel un élément naturel.
- Usage
esthétique
Cet accueil chaleureux du design par l'exposition est possible
depuis que les musées sont des espaces culturels. Les musées
ont intégré la communication et le marketing à
leurs activités. Dans les années 60, on se demandait
à Paris pourquoi les expositions étaient désertées
par le public. La naissance de Beaubourg a coïncidé avec
l'ouverture de l'art au grand public et à d'autres domaines.
L'espace neutre d'accrochage a cédé la place à
un lieu d'art engagé, y compris dans sa propre communication.
Si art, design et marketing sont réunis dans un même
projet, leurs intentions sont-elles les mêmes. Art, design et
marketing ont ils le même usage de l'esthétique et de
la communication ?
Les graphistes du palais de tokyo, M/M, interviewés dans Art
Press (Juillet 2001), réclamaient être artistes davantage
que les artistes dont ils réalisent la communication. Il s'agit
peut être d'une stratégie pour donner l'image d'une relation
artiste-designer fondée sur la collaboration plutôt que
la sous-traitance. Si collaboration il y a, il me semble pourtant
qu'un designer et un artiste n'utilise pas l'esthétique de
la même façon. Le design utilise l'esthétique
comme moyen et l'artiste l'utilise comme une fin.
La limite entre design et marketing semble s'estomper également
de plus en plus. Marketing et design proposent des services concomitants.
Naomi Klein dans No logo décrivant l'évolution
de la marque sans produits distingue les principes suivants : processus
d'abstraction de la marque comme image au dépend de l'objet
fabriqué, valeur ajoutée conceptuelle de celle-ci, contexte
d'achat "expérienciel" (IKEA), marketing viral (Starbuck).
Les produits n'ont plus d'importance. Faire de l'image un produit
est privilégié de la même manière qu'un
bureau de style qui réalise un cahier de tendance plutôt
qu'un objet. Design et marketing se chevauchent mais ils n'ont pas
le même usage de la communication. Le marketing utilise la communication
comme moyen pour vendre tandis que le designer utilise la communication
comme fin en soi.
Programmeurs
des interfaces par défaut
- Langage
machine
Le programme génère « l'interface par défaut
». Le programmeur à réalisé le programme. Le
programmeur code5. Il écrit
en langage machine du texte exécuté par l'ordinateur.
Le texte est natif du monde de l'ordinateur. Le code est la langue
des machines comme le français est la langue parlée
en France. Le codeur parle donc la même langue que les machines.
L'interface par défaut est souvent textuelle par défaut.
Le texte, plus léger et maniable que l'image à afficher
à l'écran transite aussi beaucoup plus vite sur Internet.
Il y a quelque chose du codeur dans l'interface par défaut
mais rien de personnel, subjectif (ses névroses et pulsions
libidinales) mais une distinction plus large, propre à la communauté
qui dans l'ombre sont les artisans de l'informatique et des réseaux.
«Artisans» me fait penser au mot Hacker8.
A l'origine, hacker est quelqu'un qui fait des meubles à
la hache. Pas du tout design ! Artisan, c'est aussi celui qui
travaille pour son propre compte.
- Jouer
à Dieu
Dans divers dictionnaires du Jargon informatique (Linux-France et
Tuxedo) on peut lire deux termes s'approchant de «par défaut»
: Canonique et Vanilla. Canonique6
veut dire conforme aux canons de l'église. Il s'agit d'une
ironie mais à y regarder de plus prêt cette allusion
est justifiée...L'activité du programmeur, coder, donner
des instructions à la machine, constitue de la parole en acte.
Dans de nombreux manuels d'informatique, le premier exercice est le
même. Réaliser un programme qui affiche à l'écran
« Hello World ! ». Le programme dit bonjour au monde. Le code est
devenu programme en venant au monde, par accouchement. La définition
de verbe dans la religion chrétienne est la parole de Dieu. On peut
lire dans l'ancien testament : « Par la parole de Yahvé les cieux
ont été faits ». Programmer peut être ressenti comme jouer à Dieu.
Prenons l'exemple d'un programme très simple, un compteur qui
affichera 1 puis 2 3 4 5 6 7 jusqu'à l'infini. :
// en pseudo code on aura une syntaxe de type :
i=0 // initialisation du compteur à 0
loop: // création d'une boucle dans le programme
print i // affichage du compteur
i=i+1 // incrémentation du compteur
goto loop // retour à la boucle
// en langage C standard, l'instruction tient en une ligne :
for(i=0;;i++) printf("%d ",i);
Une ligne de code suffit
à générer un processus sans fin, pas plus intéressant
je l'admets que de tourner en rond dans une pièce carrée...
Le mot français ordinateur a aussi des origines théologiques.
Celui qui a proposé de traduire computer par ordinateur, Yves
Perret, a justifié son choix en précisant : Ordinateur se trouve dans
le dictionnaire Littré comme adjectif désignant Dieu en tant
qu'il est celui qui met de l'ordre dans le monde.
Le langage orienté-objet, langage informatique apparu dans
les années 90 (C++, Java) renforce la réification du
code informatique. Le langage orienté-objet considère
chaque problème rencontré comme une classe dont l'utilisation
passe par une instance objet (philosophie Platonicienne). En gros,
tout problème à résoudre lors de la construction
d'un programme est un objet. Par exemple, « manger la purée
avec ses mains » est une classe nommée « Dégueu » qui
pourra être utilisée à un moment ou à un
autre comme un objet grâce à des méthodes (choquer
mamie, étonner papi) et des propriétés (épaisseur
du geste, taux de grossièreté).
Le MOO, Mud Orienté Objet est un jeu de rôle multi-joueur
sur Internet qui procède de la même façon pour
construire des mondes virtuels avec du texte. Une commande spéciale
me permettrait de créer un toboggan. Je le voudrais rouge et
quiconque en réseau en aura une description lira qu'il est
rouge. Si un joueur déplace mon toboggan dans un autre endroit
du jeu, il ne sera plus accessible à l'emplacement initial.
Le monde semble accessible, sans un geste, assis sur son siège
à accoudoir par l'utilisation de quelques mots.
- Parfum
vanille
L'autre terme s'approchant de « par défaut » dans le jargon informatique
est Vanilla7, la vanille
étant le parfum de glace préféré des américains,
également le parfum par défaut des glaces. Un programme
informatique parfum vanille est une version ordinaire de celui-ci,
une version sans options, sans boutons sophistiqués par exemple.
L'allusion par la vanille à la culture américaine et
l'homogénéisation du goût est significative de
l'Occident, de sa capacité par le langage à unir et
uniformiser les cultures. Les langages de programmation, tous écrits
en anglais proviennent des Etats-unis et sont utilisés partout
dans le monde. Les instructions comme Printf ou les opérateurs
comme if else, for, while, switch, communs
à de nombreux langages informatiques, sont des termes utilisés
localement tous les jours par des programmeurs aux quatre coins du
globe devant leur écran. La programmation est un langage international
comme l'anglais et précédemment l'alphabet, un standard
de communication. La vanille est au goût ce que la programmation
est au langage, un phénomène de standardisation. Notre
alphabet phonétique occidental en permettant de parler plusieurs
langues à l'aide des mêmes signes a constitué
dores et déjà selon Marshall Mc Luhan une technique
d'uniformisation : « La civilisation est basée sur l'alphabétisation
parce que l'alphabétisation en prolongeant le sens de la vue
dans l'espace et dans le temps, le rend capable d'uniformiser les
cultures ». Mais il me semble qu'il y a aujourd'hui une différence
importante entre l'anglais comme langue internationale et la programmation
comme protocole de communication avec le hardware. Si l'usage de l'anglais
sert de convention pour la globalisation des échanges, la programmation
a cette capacité de réunir des intérêts
locaux, de particuliers à particuliers. L'anglais fonctionne
parfaitement pour rédiger un contrat de fusion entre 2 multinationales
et la programmation informatique fonctionne très bien pour
mettre en commun l'intérêt de personnes individuelles
(Linux) sans aucune dépendance avec l'entreprise et sa logique
rationnelle du travail. Le parfum vanille évoque pour moi la
désuétude d'un dessert simple, modeste mais toujours
aussi savoureux, que je partage volontiers. Ce sont également
des qualités que je retrouve dans l'interface par défaut.
- Spirituel
et rationnel à la fois
Vanilla et canonique seraient-ils des allusions ironiques à
une Amérique puritaine (le fondamentalisme chrétien
en demeure l'exemple extrême) ? Malgré la rigueur logique
requise pour programmer, la langue vernaculaire des informaticiens
regorge de jeux de mots spirituels. Est ce que la rigueur rationnelle
de la programmation fait péter les plombs des informaticiens
? La logique poussée dans ses retranchements permet la construction
de situations impossibles et mondes absurdes. La science-fiction dont
raffolent les hackers selon Eric S.Raymond utilise le mélange
de rationalité et magie. Pierre Versins, l'auteur de l'encyclopédie
de l'Utopie, de la Science-fiction et des voyages extraordinaires,
appelle la science-fiction «conjecture romanesque rationnelle». Ce
n'est aussi pas un hasard si les jeux visuels sur la perspective du
peintre Escher fascinent les hackers. On peut le regretter
comme les médecins qui adorent le peintre Dali parce qu'il
représente des corps malades et tordus... L'esthétique
par défaut au contraire représente une réponse
simple et légère dans un monde complexe. Une solution
par défaut est une solution rapide. L'apparente austérité
de l'esthétique par défaut masque en réalité
une propension au jeu. L'interface est initialisée par défaut
comme la première partie d'un jeu qui commence. A ce jeu, nous
considérons facilement les programmes comme des artistes et
les moteurs de recherche constituent d'excellents commissaires d'exposition
internationaux.
Esthétique
par défaut
- Ma
petite bureaucratie
Chacun est dores et déjà familier aux interfaces par
défaut peut être sans le savoir. Tous les ordinateurs
et systèmes d'exploitation (O.S.) de la galaxie en sont équipés
(Mac, Windows, Unix). Votre ordinateur est la métaphore d'un
bureau, fait de fichiers rangés dans des dossiers. Tous les
ordinateurs personnels sont des petites bureaucraties. Ce mode de
représentation généralisé est partout,
susceptible de faire écho à des cultures, religions
et idéologies différentes. Imaginez le Dalaï-lama
devant son écran en train de relever ses e-mails. L'apparente
rigueur de l'esthétique par défaut serait-elle zen pour
un bouddhiste, austère pour le chrétien, conforme à
la Charia ? Dans la vie courante existe de multiples actions par défaut.
Quand on se lave les mains dans les toilettes d'un bar, l'eau a une
température par défaut. Elle est souvent glacée
vous avez remarquez ? Vous renoncez à vous laver les mains
par forfait. Tout le monde s'est un jour réveillé en
retard un matin. Si vous devez partir sans manger, sans vous doucher,
vous vous habillerez par défaut, avec ce qui vous tombe sous
la main. Vous vous assumez toute la journée sans faire d'effort
de sociabilité, de communication. On peut dire alors que vous
êtes belle par défaut, magnifique par contumace. Ce n'est
pas si insignifiant que ça. Imaginez que vous déterminiez
le nom de votre enfant selon le processus suivant. Il prendra le nom
du Saint qui apparaît dans le calendrier le jour de sa naissance.
Son anniversaire coïncide avec sa fête et vous n'aurez
qu'un cadeau à lui faire au lieu de deux chaque année.
Par contre il peut mal le vivre. Supposez que votre fils s'appelle
Rosalie parce qu'il est né le 4 septembre ?
- Par
défaut et Ready-made
L'aspect austère de l'esthétique par défaut vu
par un artiste prendra peut être un air fonctionnaliste, suprématiste,
conceptuel ou minimaliste, comme un souffle perdu des avant-guardes
mais l'intention révolutionnaire ou utopique n'y est pas. «
Par défaut » est une formule coutumière. Toutefois elle
s'apparente sur certains points au « ready-made » de Duchamp (Porte-bouteilles).
D'un point de vue linguistique, ce sont tous les deux des locutions.
« Par défaut » est une locution adverbiale et « ready-made
» une locution nominale. Expression formée d'un groupe de mots,
la locution souvent figée par la tradition, apparaît
dans le langage par prolongement, par habitude et sans rupture à
la différence d'un nouveau nom de projet révolutionnaire.
Le « Ready-made » est une expression empruntée au langage familier
qu'utilise Duchamp en 1913 pour décrire l'art contemporain
de son époque et son fonctionnement. Une interface par défaut
se différencie sur les points suivants : Elle est déjà-choisie
plutôt que déjà-faite, un « ready-chosen » plutôt
qu'un « ready-made ». On a installé un site sur un serveur
exactement selon le mode d'emploi décrit dans les manuels techniques.
Je distinguerais donc « choisir un objet comme acte artistique, l'absence
de faire » et « faire un serveur avec des paramètres par défaut,
l'absence de choix ». A mon sens, cette absence de choix est motivée
par le refus de communication visuelle comme seul moyen d'existence
de l'art sur internet et dans une société de réseaux.
En me demandant quelle serait une peinture par défaut, toutes
mes tentatives ont échoué. J'en ai déduis qu'il
s'agissait d'une esthétique relative aux réseaux.
La peinture par exemple est rarement collective comme peut l'être
l'usage sur Internet. Je me souviens des grands formats de Warhol
et Basquiat par exemple mais deux, ce n'est pas suffisant pour former
un collectif. Pour Art & Language, peindre ensemble il me semble
constitue moins une peinture à plusieurs qu'un label. Martin
Kippenberger a bien l'air de faire des peintures collectives mais
en réalité, il est seul.
- Tous
dans la même direction
Un site génère des relations inter-humaines parce que
le Web est collectif mais l'esthétique par défaut
concerne la constance du rapport entre les humains et les appareils.
Nous sommes tournés ensembles vers l'appareil plutôt
que tournés les uns vers les autres. Nous regardons tous dans
la même direction, vers un serveur. Chacun de nos corps est
penché sur un écran. Mais ça ne veut pas dire
asservi par les ordinateurs. Pensez à la position d'un groupe
de manifestants faisant face ensemble à un appareil d'état
ou le G8. Nous tournons le dos aux interfaces et faisons face aux
programmes. Personne n'a le choix ou non des appareils. Il en va ainsi
dorénavant et c'est le premier ministre qui le dit. Le 26 aout
dernier, Jean-Pierre Raffarin déclare publiquement à
propos des impôts « nous mettrons le curseur sur les priorités
qui (...) » au lieu de l'expression habituelle « nous mettrons le
doigt sur ». Autrement dit, le gouvernement se positionnera à
tel endroit du programme. Quelque chose le dépasse constitutif
de l'appareil dont il est mandaté pour 5 ans. Vilèm
Flusser donne à appareil (Pour une philosophie de la photographie)
la définition d'un « jouet simulant la pensée ».
1 Design :
Mode de création industrielle qui vise à adopter la forme
des objets (appareils, outils, machine) à la fonction qu'ils doivent
remplir tout en leur conférant une beauté plastique qui
rende agréable leur utilisation. Robert
2 Ainsi notre site Web
est accessible à l'internaute en "mod_autoindex" du serveur
Apache sous Linux, mode d'indexation automatisé des répertoires.
Notre site FTP est défini
quant à lui par le navigateur (logiciel client) que ce soit Explorer,
Netscape, Mozilla ou tout autre logiciel utilisé pour aller sur
Internet.
3 Interface : Dispositif
grâce auquel s'effectuent les échanges d'informations entre
deux systèmes - Interface utilisateur : Ensemble des moyens
de dialogue entre l'utilisateur et l'ordinateur, regroupant l'usage des
commandes. Limite commune à deux systèmes. Robert
4 URL : Uniform Resource
Locator. Sur le web, c'est la méthode d'accès à un document distant, créant
ainsi un lien hypertexte. Roland Trique
5 Code : Le code source
est la représentation dans un langage humainement compréhensible du fonctionnement
d'une oeuvre. Le langage est choisi initialement par l'auteur. Ce langage
peut-être également standardisé, normalisé ou tout au moins reconnu et
utilisé de la même manière par un ensemble de personnes. Le code source
peut être complété de commentaires et de documentation en langage naturel.
Le but du code source est d'être utilisé par un dispositif de transformation
en langage compréhensible (processeur, compilateur, interpréteur) par
une machine numérique (un ordinateur) qui donnera le code machine. L'utilisation
de ce code sur la machine donnera l'oeuvre. Erwan Esnault
6 Canonique : Conforme
aux canons de l'église - Application, forme canonique : formulations
mathématiques liées de façon privilégiée
à une structure. Eric S.Raymond
7 Vanilla : La vanille
est le parfum préféré des américains en matière de crème glacée. Caractérise
une technique standard et très classique. Exemple : The Mandelbrot set
is the vanilla job of many fractal browsers. Roland Trique
8 Hacker : Accro, fana
d'informatique (à l'origine, quelqu'un qui fabrique des meubles
à la hache). Eric S. Raymond
Autres références
Le
Jargon Français (le jargon français
par Roland Trique incluant la définition de l'esthétique
par défaut)
Ken Coar (programmeur du "mod_autoindex"
du serveur web d'Apache, interface par défaut)
Kevin Hugues (designer des icônes
d'Apache, 1993)
Jean-François Pillou
(auteur d'un texte sur l'origine des ordinateurs)
Ralph Waldo Emerson
(International Dark-Sky Association)
Tour Martini (l'esthétique
pa défaut vu par Yves Bernard et Alain Geronnez)
Pseudodictionary (connotation
argotique de "par défaut", définition de lbd)
New
Mediaeval Aesthetic (signe avant-coureur de l'esthétique par
défaut par Rebecca E. Zorach, 1994)
Annexe
- Forum
Si vous avez des questions, critiques, remarques sur « l'esthétique
par défaut », vous trouverez un espace de débat sur
le forum de discussion qui lui est dédié sur ce serveur.
J'espère y trouver un feed-back :
http://www.teleferique.org/equipment/forums/
puis aller dans la section « Aesthetic by default ».
( français et anglais )
- Téléchargement
J'ai hésité plusieurs fois sur la forme à donner
à ce texte mais finalement, j'ai opté pour une forme
spatiale, emprunté au HOWTO ou mode d'emploi sur les conseils
de mes Beta-lecteurs. Cependant, je propose ici la version à
télécharger, plus proche d'une esthétique par
défaut. En mode console, le format Reader, déroule le
texte automatiquement à l'écran tel un générique
:
- Remerciements,
Crédits & Licence
Merci beaucoup à Erational,
Makoto,
Robin et
Sonia qui ont participé
à l'apparition de ce texte.
Copyright © 2002 Etienne
Cliquet.
Copyright (c) 2002 Etienne Cliquet. Permission est
accordée de copier, distribuer et/ou modifier ce document selon les
termes de la Licence de Documentation Libre GNU (GNU
Free Documentation License), version 1.1 ou toute version ultérieure
publiée par la Free Software Foundation, sans Sections Invariables,
sans Texte de Première de Couverture, et sans Texte de Quatrième de
Couverture. Une copie de la présente Licence est incluse ici.
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